Tout à été dit sur la crise du quartz, moi-même je concluais ma série d’articles sur cet événement en disant que l’industrie suisse arrivait à la fin d’un cycle. La soi-disant rivalité nippone n’était, en fait, que le réveil tardif d’une industrie alors plongée dans un sommeil léthargique.
Tandis que certains se jetaient à tête baissée dans le nouveau paradigme technologique du quartz (lire notre article sur le Beta 21), d’autres s’en allèrent explorer de nouvelles pistes pour créer une nouvelle rupture, de l’intérieur, sous peine de disparaitre à jamais.
Parmi eux, Vacheron Constantin, qui avec la 222, créera dans les années 70 une montre sublime qui surgit puis disparait, telle une étoile filante …
La disruption
Je reprends la définition de mon article sur Genta :
en marketing, le « disruptif » consiste à briser les conventions établies sur un marché au moyen d’une idée créatrice, pour libérer une marque de ses carcans et la repositionner sur son marché.
Voici où en était l’horlogerie suisse à l’aube des années 70. Il fallait absolument bousculer l’ordre établi et s’éloigner des lignes séculaires et conservatrices de la montre traditionnelle.
Il fallait un sursaut de l’industrie et on se rappelle tous de l’histoire de la Royal Oak et de ses multiples avatars à travers la Nautilus (Patek) ou L’ingénieur (IWC). Vacheron Constantin qui était la plus ancienne maison horlogère de l’histoire (1755), ne devait pas être en reste.
On notera au passage que la manufacture ne s’était pas précipitée dans le consortium Beta 21 comme la plupart de ses confrères. Elle n’avait pas non plus (contrairement aux idées reçues) fait appel à Gerald Genta pour la conception de sa montre emblématique dont la lancement était prévu en 1977, à l’occasion du 222é anniversaire de la marque.
Jorg Hysek
C’est le designer Jorg Hysek qui sera choisi pour le dessin de la 222. Contrairement à Genta et à l’instar de certains compositeurs, Hysek sera l’homme d’un seul chef d’oeuvre. Il y a aura bien eu plus tard, la Marine de Breguet ou la Kirium de Tag Heuer, voire Streamerica faite pour Tiffany. Mais l’apogé de Hysek sera atteint dès sa première oeuvre avec la 222.
Le « crossover »
Le cahier des charges fut le même que pour ses concurrentes : concevoir une montre sportive qui cumulerait à elle seule tous les codes du luxe. A la fois racée et élégante, fine et moderne, avec un niveau de finition jamais atteint sur ce genre de montre. Un concept finalement très proche des 4×4 crossover que l’on retrouve, de nos jours, dans l’automobile de luxe.
L’ADN Vacheron Constantin
Un autre point qui oppose Hysek à Genta est l’inspiration. Tandis que Genta crée une rupture franche, que ce soit aussi bien avec Audemars qu’avec Patek, en partant de son idée originale du « hublot »,
Hysek, quant à lui, ira puiser des éléments existants dans l’ADN de la marque pour les réutiliser de manière sublimée dans la 222.
On retrouvera ainsi la boite en croix de Malte de la 2215 Chronomètre Royal ainsi que la lunette si particulière de la réf. 4709 de 1951. Ces deux éléments se perpétueront plus tard dans l’Overseas, le descendant moderne de la 222.
L’epure
Le résultat est sans appel. Hysek nous offre une montre fine (7,45mm), épurée, aux angles vifs et acérés. A l’opposé de ses deux illustres concurrentes, son cadran est lisse, ce qui lui donne un air plus classique et moins technique. La lisibilité s’en trouve améliorée. La lunette est en revanche ciselée, plus étroite et d’une finition impeccable. c’est l’élément le plus original et le plu réussi de cette montre. Moins massive et moins exubérante, celle-ci contribue à la légèreté visuelle de l’ensemble tout en s’exposant moins aux rayures.
L’intégration du bracelet est assez proche de la Nautilus tandis que la couronne est, comme la Royal Oak, rasante et sans protège couronne.
La 222 présente comme ses concurrentes, une date à 3 heures et ne possède pas de seconde centrale. Et pour cause, elles embarquent toutes les 3 le même calibre, qui n’est autre qu’une évolution du calibre 920 de Jeager-LeCoultre.
Ironie de l’histoire, JLC n’utilisera jamais ce calibre ultra-fin pour sa propre production.
Baptisé 1121 par Vacheron Constantin, ce calibre mesure 3.05mm d’épaisseur, possède un balancier à inertie variable et une finition au poinçon de Genève.
La 222, dont la référence interne est 44018, sera déclinée en 34mm (calibre 1124 avec date et seconde centrale) et 37mm ( dite « Jumbo », calibre 1121 avec date, sans seconde).
Les matières proposées seront l’acier (cadran noir et cadran blanc), l’or/acier (cadran blanc et cadran doré et index en or massif (18K) et l’or massif (18K). Signe distinctif à l’ensemble de la gamme, la croix de Malte en or, apposée à 17h sur la carrure.
Etoile filante
La rareté contribue au mythe de la 222. Produite pendant seulement 7 ans, elle sera remplacée dès 1984 par la 333, une évolution rectangulaire qui ne durera elle-même que 2 ans.
Sans être une licorne absolue, la 222 a été fabriquée à moins de 520 exemplaires pour la version la plus convoitée en acier, moins de 150 exemplaires pour la version or, et moins de 150 exemplaires pour la version or/acier.
Si l’on suit la règle qui dit qu’une montre trop rare ne décolle pas et que pour exploser celle-ci doit exister en quantité suffisante pour éveiller toutes les convoitises, la 222 se situe exactement dans cette deuxième catégorie.
Le moment viendra où la hype des Royal Oak et des Nautilus s’étiolera. La 222 reviendra alors au devant de la scène, comme une étoile filante à son firmament, qui est passée et qui repassera …
Merci à Marc pour son aide précieuse à l’élaboration de cet article.
A relire, les 2 articles complémentaires :
L’histoire du consortium Beta 21 qui créa le premier calibre à quartz suisse
L’histoire de la Royal Oak et de la révolution Genta
MikaWatches
Super article comme à ton habitude! Just une question sur la publicité de la 222 – a quoi sert cette sorte de seconde lunette? merci et pardon pour ma question surement bête
Moonphase
C’est pas une question bête du tout. C’est en fait une pince à billets. Un accessoire indispensable pour sortir son argent avec élégance !
Mikawatches
Super merci – detail charmant
À bientôt j’espère pour le prochain redbar
Bruno
Excellent article. Dans la même veine il y a également l’Eterna Kontiki Royal quartz sortie en 1976. Malgré mes recherches je n’ai pas réussi à retrouver son designer. Produite à 1000 exemplaires(dont la mienne) uniquement avec mouvement quartz ETA. La qualité de fabrication est excellente. Eterna s’en ai inspiré pour sa royal kontiki actuelle.