La connaissance horlogère est un perpétuel recommencement. On pense connaitre un modèle et fort de nos préjugés on finit par passer complètement à côté. Il ne faut jurer de rien et si on essaie d’y revenir avec un oeil neuf, il arrive souvent que l’on redécouvre des pans entiers de trésors inattendus. On finit toujours par aimer ce qu’on a détesté. En ce qui concerne la Rolex Datejust, mon avis était plutôt tranché. Trop voyante et trop vue, trop copiée, bref tous les clichés Rolex dans une seule montre.
Sans refaire toute l’histoire, Il faut surtout retenir que la Datejust du haut de ses 72 ans, est le modèle le plus ancien de Rolex qui soit encore fabriqué à ce jour. Même si son ADN se résume souvent à son cyclope, sa lunette cannelée ainsi qu’à son indissociable bracelet jubilé, en y regardant de plus près, on y découvre des raffinements qui élèvent certains modèles au dessus de tous les autres. Dans le vintage, ce sont justement ces détails qui font les grandes différences et qui rendent telles ou telles pièces uniques et désirables, aux yeux de « ceux qui savent » …
La Datejust Ovettone
En italien « Ovettone » veut dire gros oeuf. On associe à ce surnom les boites de transition entre le « bubbleblack » et la boite « Oyster » moderne, plus fine, que nous connaissons.
La Datejust réf. 6305 de 1955 reprend donc ce boitier avec des épaulements plus arrondis et un fond de boite « semi-bubble » plus bombé. Plus rare, on trouve aussi des Ovettone « Red » avec Datejust écrit en rouge. Les Ovettone les plus convoitées sont celles qui possèdent un cadran dit « honeycomb » (nid d’abeilles) qui existe en blanc ou en noir. Le paroxysme est atteint quand une Datejust regroupe ces 3 caractéristiques en une seule montre : boite semi-bubbleback, écriture « red » et cadran « honeycomb dial » (un exemple ici).
La Datejust « Gilt »
Dans l’univers du vintage Rolex, tout ce qui est « Gilt » vaut de l’or. Il n’existe pas de définition précise du « Gilt ». Originalement se dit « Gilt » un cadran sur lequel tous les marquages blancs ou noirs sont remplacés par le doré. Le « Gilt » est souvent associé aux cadrans laqués brillants (glossy) par opposition aux cadrans mats. Les reflets variants du cadran Gilt et son vieillissement « tropical » attisent la passion des collectionneurs. Le cadran « Gilt » double voire triple la valeur de la montre, il est souvent associé à l’âge d’or de la marque : les années 60.
La Datejust « Bamboo Bezel »
La « Bamboo Bezel » combine plusieurs particularités inédites sur les Datejust : une lunette lisse avec trois stries gravés en face des heures, des aiguilles dauphine qui remplacent les aiguilles alpha et enfin les index facettés en forme de dagues. Produite en 1962 et commercialisée seulement pendant un an sur le marché Italien, la « Bamboo bezel » est donc rare mais encore méconnue des collectionneurs.
La Datejust « Underline dial »
1963 et 1964 marquent chez Rolex le passage du radium au tritium. Les Datejust ne manquent pas à la règle. Signe distinctif : un trait horizontal au dessus de 6 heures souligne le « Superlative Chronometer …. ». Ce trait, rajouté sur les cadrans lavés de l’ensemble de la gamme Rolex est donc le signe distinctif des derniers cadran « Swiss only ». Rares, les « Underline dial » sont convoitées par tous les collectionneurs avertis.
La Datejust « Tiffany dial »
Parmi les montres double signatures (voir la saga que je viens de commencer), la « Tiffany dial » est loin devant la plus désirable de toute. La magie de ces quelques lettres, Tiffany&Co., sur le cadran transforme n’importe quelle montre en un véritable objet de désir et de convoitise. Même si les premiers marquages du magasin de la 5ème Avenue ont commencé dès 1851 avec Patek Philippe (voir notre prochain article), il faudra attendre un siècle plus tard (1950) pour voir les premières Rolex avec le double marquage le plus contrefait de l’histoire. Quand elle n’est pas fausse, la Datejust « Tiffany Dial » est probablement le graal parmi toutes les Datejust rares.
La Datejust « Door stop dial »
Apparus aux débuts des années 60, les cadrans « Door stop », littéralement « cale porte », présentent des index inclinés qui font penser aux cales que l’on glisse sous les portes pour les bloquer. Parmi les Datejust « Door stop », celle avec une lunette lisse sont les plus rares.
La Datejust « Sigma dial »
Il y a eu beaucoup de fantasme autour du cadran Sigma jusqu’à ce que Louis Westphalen écrive l’article de référence sur le sujet. La présence des deux lettres grecques « Sigma » de parts et d’autre du « T SWISS T » avait pour but de donner un signe distinctif aux cadrans suisse possédant des index en or massif. Seuls les membres de l’APRIOR (Association pour la Promotion Industrielle de l’Or) pouvaient se prévaloir de ce marquage. Parmi eux, Rolex, qui a bénéficié du marquage « Sigma » sur ses cadrans de 1970 à environs 1975. Le « Sigma dial » est probablement la dernière série des Datejust intéressantes à collectionner.
Après la lecture de cette article, peut être que vous aussi, vous changerez d’avis sur les Datejust. Je n’ai pas utilisé de littératures spécialisées pour dresser cette liste. Elle n’est donc pas exhaustive et j’en ai sûrement oublié au passage. Avec un vrai 36mm, la Datejust (rare ou pas) est une excellente entrée en la matière dans le monde Rolex. Un terrain de jeu tout aussi passionnant et encore accessible.
Sachez que quelque soit le modèle que vous choisirez, avec la Datejust, les aiguilles feuilles ou dauphines sont préférées et le bracelet jubilé est incontournable. Pour le reste, le diable est dans les détails. Ce sont ces petits quelques choses en plus qui feront de votre montre une pièce rare et convoitée. Ainsi va le monde magique du vintage …
Pour aller plus loin :
The evolution of the Rolex luminous, un point très complet sur les cadrans et les matières lumineuses des Rolex vintages
What Exactly Is A Sigma Dial? : l’article de référence sur les « Sigma dial » par Louis Westphalen
Jihèm
toujours aussi passionnant …et bien écrit avec de très belles photos…tu as réussi à m’y intéresser, alors que la Datejust m’excite a priori autant qu’un spectacle de danse contemporaine recommandé par Libé ; peut-être à cause du bracelet jubilé que je déteste (ma GMT 1675 est tellement plus belle avec un bracelet oyster plié !) …il faut dire que je suis un adepte de rolex vintage atypique et un tantinet ringard et même beauf puisque je préfère les cadrans mats aux cadrans laqués (je n’aime pas quand ça brille et pas beaucoup non plus les écritures dorées), et les double signatures chez rolex, patek etc… (Tiffany, Wempe …voire même COMEX me font autant d’effet qu’un bon fromage sans un bon vin !), je trouve même ô sacrilège (je sais) que cela alourdit le cadran et que cela n’a rien d’esthétique….en revanche je goûte la patine coquille d’oeuf des index d’une sub, une lunette pepsi qui vire au turquoise/framboise, une écriture rouge, un long E, des open 6, des meters first, la finesse d’une boite ancienne, le confort d’un bracelet oyster riveté ou plié, la chaleur d’un plexi etc…bref tous ces petits détails de grands malades mentaux 😉
Merci pour ces petites parenthèses érudites et bien agréables !
Moonphase
Merci, Jihèm, pour votre message très complet.
Je disais la même chose pour le Jubilé. Puis un jour – plus pour rigoler qu’autre chose – un peu comme un enfant qui essaie de fumer sa première cigarette en cachette, je l’ai ressorti de sa boite et je l’ai passé …. j’ai même pris le métro avec !
Depuis, je suis devenu un inconditionnel du « Jub ». L’horrible était devenu beau. Rien n’est irreversible. Il faut accepter d’être surpris !
à bientôt 😉
Simon
speedtar
Je suis très souvent, voire tout le temps, en accord total avec tes articles lorsque je ne découvre pas quelque nouvelle pièce (cf. la SAS Polarouter). Mais là je le suis encore plus!! La Datejust représente pour moi la seule (les goûts changent alors je ne peux absolument pas écrire que c’est définitif) Rolex qui me va au poignet et très certainement une future acquisition.
Comme d’habitude un article agréable à lire et qui donne envie d’approfondir et découvrir ce modèle intemporel et élégant.
Moonphase
Cher Speedtar,
Pour illustrer notre échange, je citerais les propos de notre idole commun :
« La vérité n’a pas de chemin. La vérité est vivante et par conséquent, changeante »
Bruce Lee dans « Tao of Jeet Kune Do » (1975)
la bise 😉
s
Schrdng
Des articles toujours aux petits oignons. Un réel plaisir à lire.
Concernant la DJ, pour moi c’est la définition même de la montre polyvalente par excellence.
Diamètre et épaisseur contenu. Un bracelet cuir lui va aussi bien qu’un bracelet en acier.
Se porte aussi bien avec un costume qu’en short.
De mon côté j’ai opté pour une Tudor Day Date, lunette cannelé, fond silver et si je ne devais en garder qu’une aujourd’hui ce serait celle là car vraiment trop pratique.
Dehu
Suite à vos écrits, je suis sur une DJ 1603 de73, le jubilé ne me tapait pas mais rien n est irréversible ;))))) quel tarif raisonnable pour cette montre?