Saga double signature : l’épopée vénézuélienne de Serpico y Laino

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A travers cette nouvelle série intitulée « Double signature », nous remontons le temps, à une époque où les séries limitées ne se vendaient pas encore sur internet, sans intermédiaire et en quelques minutes. C’était le temps où les manufactures n’avaient pas encore leur propre réseau de distribution. Un temps où le conseil, l’accueil et la réputation était une marque de fabrique, au moins aussi important que la montre elle-même. Uniques intermédiaires entre le client et le fabricant, les « Authorised Dealers » (AD) étaient tellement puissants dans leur pays que leurs noms étaient apposés sur le cadran au même titre que celui de la manufacture. Très chics et très recherchées, ces montres dites « double signatures » sont les vestiges d’une période révolue où l’achat d’une montre était encore un acte social, un geste d’élégance et de savoir-vivre …

Saga « double signature », épisode 1 : Serpico y Laino

Vicente Laino

Vicente Laino

Nous sommes dans les années 20. D’immenses réserves de pétrole on été découvertes au Vénézuela. Attirés par la nouvelle prospérité économique, Leopoldo Serpico et Vicente Laino quittent leur Italie natale pour tenter leur chance à Caracas.

Vicente Laino était sans le sous mais Leopoldo Serpico avait décelé en lui un grand talent pour le commerce. Ensemble ils décidèrent d’ouvrir une bijouterie et Vicente eut la judicieuse idée d’aller chercher lui-même en Europe, et notamment en Suisse, des produits exceptionnels que l’Amérique du sud ne connaissait pas encore. Leur commerce devient très vite florissant et Hans Wilsdorf en personne fera le déplacement outre Atlantique pour leur offrir l’exclusivité territoriale de la vente des montres Rolex.

Vue de Sabana Grande, Caracas, années 60. Photo : Tito Caula, ARCHIVO DE LA FOTOGRAFíA URBANA

Vue de Sabana Grande à Caracas dans les années 60. Photo : Tito Caula, Archivo de la Fotografia Urbana

Au fil des Années, la bijouterie baptisée « Serpico y Laino »  est devenue un des hauts lieux du luxe à Caracas, drainant les notables et les nouveaux riches des années folles. Considéré comme le Tiffany’s & Co locale, on y trouvait des bijoux, de l’argenterie, des montres Rolex, bien sûr, des Ebel, mais aussi des Patek Philippe dont les deux compères avaient aussi obtenu l’exclusivité pour le pays.

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Rolex GMT 6542 de 1956. Photo : Jacek K @RPM

 

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Rolex Datejust Ref: 6305 en or 18K des années 50. Photo : Jacek K @ RPM

Des liens d’amitiés très forts liaient les deux associés. Plus encore, l’affaire deviendra familiale lorsque Vicente épouse la soeur de Leopoldo. Mais lorsque la 2é guerre mondiale éclata, Vicente sera rappelé en Italie pour effectuer son service militaire. A son retour à Caracas, Leopoldo venait juste de décéder. Le sort continuera à s’acharner et quelques années plus tard, c’est au tour de son épouse de succomber d’une maladie, le laissant seul avec deux enfants.

Patek Philippe réf.2526, en or rose et cadran émaillé de 1954. Photo : Christies

Patek Philippe réf.2526, en or rose et cadran émaillé de 1954. Photo : Christies

Accablé par le chagrin, Vicente se lance alors à corps perdu dans le développement de son entreprise. Il sera appuyé par Fernando Ponce de Léon (le beau fils de Leopoldo), Augustin Laino (son fils ainé, photo en haut de l’article) ainsi que de son propre frère (Domingo Laino). Serpico y Laino prospèrera ainsi pendant une décennie et ouvrira plusieurs succursales dans le pays, jusqu’en 1959, année où son fondateur Vicente Laino décèdera à son tour.

Rolex Datejust 1625 avec lunette en "Thuderbird" en or de 1964. Photo : cavalieristore.com

Rolex Datejust 1625 avec lunette « Thunderbird » en or de 1964. Photo : cavalieristore.com

Augustin Laino, fils ainé de Vicente Laino

Augustin Laino, fils ainé de Vicente Laino

Le pays vivra ensuite une période d’instabilité politique et sociale, entre coups d’états, dictatures, émeutes et révolution cubaine. Crimes, prises d’otages et rackets étaient devenus monnaies courantes dans le pays. Plusieurs membres de la famille de Leopoldo et de Vicente seront victimes d’enlèvement. Le coup de grâce arrivera lorsqu’un attentat à la bombe sera perpétré dans l’enceinte de l’un de leurs magasins en 1966. Plusieurs membres des deux clans tenteront de réouvrir de nouvelles boutiques, mais sans ententes réelles entre les deux familles, aucun d’entre-eux n’auront le droit de perpétuer la marque historique de « Serpico y Laino » qui disparaitra définitivement aux débuts des années 70.

Rolex Submariner 5513 de 1963. Photo : HQ Milton

Rolex Submariner 5513 de 1963. Photo : HQ Milton

Durant près d’un demi siècle, le nom de Serpico y Laino aura marqué l’histoire du luxe en l’Amérique centrale. Malgré cela, assez peu de montres portant cette double signature auront survécu à tant de tumultes et d’instabilités. On retrouvera bien sûr les trois marques officielles du distributeur : Ebel, Rolex et Patek Philippe. Très souvent des montres habillées (Bubble back, Datejust et Calatrava) mais aussi des toolwatch comme des submariner ou des GMT.

A travers la destinée de ces deux migrants italiens et de leur famille, c’est toute l’histoire d’un pays qui défile à l’évocation du seul nom de « Serpico y Laino ». De cette magnifique épopée, il en restera des montres rares au patines incroyables. Chacune d’elles est un vestige du temps, des témoins muet du passé d’un peuple tout entier, évoluant entre coups d’états et démocratie, prospérité et émeutes sociales, décadence et grandeur.

 

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