Les montres de designers suscitent souvent des avis très partagés. Soit on adore, soit on déteste. Dans les deux cas personne ne reste indifférent. Un courant a cependant réussi à mettre tout le monde d’accord et fait l’unanimité chez les amateurs de belles montres. Il s’agit de l’école du Bauhaus, formidablement représenté, de nos jours, par la manufacture Nomos à Glashütte. Nous aurons l’occasion de revenir sur cette marque qui est peut-être, la plus créative et la plus audacieuse du moment.
Mais avant cela : rendons d’abord à César ce qui appartient à César : voici l’histoire d’un design horloger «avant-gardiste» qui a mis près de 20 ans pour s’imposer auprès du grand public.
En 1947, un designer d’origine russe installé à New York du nom de Nathan George Horwitt, inventa une montre au cadran mystérieux. Ce créateur se revendiquait de l’école du Bauhaus, un mouvement fondé dans les années 20 en Allemagne par Walter Gropius.
Pour faire simple, on va dire que la grande idée du Bauhaus était de ne plus faire de distinction entre les beaux-arts (l’art avec un grand A) et les arts appliqués, c’est à dire l’art pour les objets de tous les jours. A l’école du Bauhaus, on apprend donc à créer des objets à la fois esthétiques, fonctionnels et innovants, destinés à une production en série, pour que l’art puisse entrer dans la vie quotidienne. Des artistes très célèbres, comme Wassily Kandinsky et Paul Klee, ont tous deux enseigné dans cette école.
Le style du Bauhaus consiste à pousser l’épure à l’extrême pour ne garder que le stricte nécessaire privilégiant le fonctionnel au détriment de toutes décorations et fioritures inutiles. On est dans la lignée des courants d’avant-garde de l’époque, notamment l’art abstrait géométrique comme les toiles de Piet Mondrian, ou le design de la chaise Wassily de Marcel Breuer.
La montre créée par Horwitt avait une lunette très fine permettant une très grande ouverture de cadran qui était, quant à lui, monochrome et complétement vierge de toute graduation. Il n’y avait donc sur cette montre ni index, ni chiffres, ni quelconques repères autres qu’un simple cercle doré placé à midi. Ce «soleil» combiné à la position des aiguilles était suffisant pour indiquer l’heure, à la manière d’un cadran solaire.
Ce design trop abstrait ne rencontra pas beaucoup d’échos auprès des très conservatrices maisons horlogères de l’époque.
Pendant plus de 10 ans, Horwitt ne trouva pas d’acquéreur pour sa montre jugée trop conceptuelle, jusqu’à ce que le Musée d’Art Modern de New York (MoMA) décida, en 1959, d’en acquérir un exemplaire pour son exposition permanente.
La montre acquise par le MoMA était un des 3 prototypes fabriqués à l’époque par la société Vacheron G. Constantin-LeCoultre Watches, Inc.. Elle était en or blanc avec un cadran émaillé noir et portait au dos les inscriptions :
NO.2/ Designed by / NATHAN GEORGE HORWITT / DES. PAT: 183,488.»
A la même période, la société Zenith Movado s’est mise à commercialiser une version «non officielle» de cette montre sous le nom de «Museum watch» en référence au modèle exposé au MoMA. S’en suivra alors de longs procès et tractations qui aboutiront en 1975 au versement à Horwitt d’un montant de 29 000 dollars. Vue la modeste somme, on peut se demander qui a réellement perdu la négociation…
Dans les années 60, le même cadran minimaliste sera aussi décliné en horloge murale et en réveil de table et seront distribués quant à eux, par la Howard Miller Clock Company.
La Movado Museum fut très populaire dans les années 80 (mouvement à quartz), sûrement à cause de sont apparence à la fois kitch et futuriste. Bizarrement les versions mécaniques des années 60-70 n’atteignent pas de très grosses côtes. On peut ainsi en trouver en bon état pour quelques centaines de dollars. Aussi, si vous devez en choisir une, préférez toujours celles avec le plexi bombé, similaire au modèle exposé au Museum of Modern Art de New York. So chic…
Pour aller plus loin : dans le même style de réflexion, «Horrible est le beau, beau est l’horrible », Audemars Piguet Royal Oak : le génie de Gérald Genta