En général, on ne va pas à Rocollection pour y dénicher de bonnes affaires. On y va surtout pour saluer la communauté, croiser des connaissances et déjeuner avec quelques amis. C’est ainsi qu’après une bonne blanquette de veau, alors que chacun rentrait chez soi, je décidais de retenter ma chance et de retourner sur les lieux. Je n’y allais pas pour trouver quelque chose en particulier, mais juste un sujet qui réveillerait quelque peu ma libido horlogère et qui me redonnerait l’envie d’écrire. C’est ainsi qu’au détour d’un stand fort bien achalandé, le sympathique propriétaire me tendit une montre qui était restée dans un coin, délaissée de tous. Son cadran portait l’inscription mystérieuse « Flyling Dutchman » …
A l’origine, « Flying Dutchman » (Le Hollandais Volant) était le nom d’un vaisseau fantôme hollandais. La légende veut que le navire était condamné à errer sur les sept mers jusqu’à la nuit des temps. Son capitaine ayant fait un pacte avec le diable, Le Hollandais Volant était redouté de tous, le rencontrer était synonyme d’un funeste présage. Plusieurs variantes de cette histoire se sont succédées jusqu’à la dernière, la plus connue, celle de Pirates des Caraïbes.
C’est dans les années 30 que la Compagnie Royale Néerlandaise ou KLM (Koninklijke Luchtvaart Maatschappij) décida d’utiliser le nom de cette légende populaire hollandaise pour rebaptiser ses avions longs courriers qui parcouraient le monde au départ de Schipol.
Plus tard, le nom de Flying Dutchman fit à nouveau apparition lorsqu’au milieu des années 50, KLM décide de faire appel à la manufacture Marvin pour lui fournir une montre destinée à son équipage de bord.
Le nom de Flying Dutchman sera utilisé une dernière fois par KLM en 1991, c’est le nom donné au tout premier programme de fidélisation de l’histoire de l’aviation civile. Lors de la fusion avec Air France, ce programme deviendra alors le programme Flying Blue.
Revenons aux montres. Les frères Marc et Emmanuel Didisheim fondent en 1850 la société « Albert Didisheim et Frères ». Pour séduire le marché américain, la manufacture sera rebaptisée plus tard « Marvin », dont le logo de la couronne représente un M à l’envers. Cette couronne jouera peut être un rôle décisif par la suite, lors de la sélection des manufactures par la compagnie royale hollandaise …
Marvin avait proposé à KLM, non pas une mais deux montres très différentes. La première était la montre dite « clip » car elle se fixait sur le revers des tailleurs des hôtesses de l’air. Cette montre était une variante de la montre « pneu », qui fut jadis un des produits phares fabriqués par Marvin.
La deuxième montre sera celle en dotation aux pilotes de lignes. La manufacture décida alors de partir d’une feuille blanche et de créer un design original. Marvin nommera sa création « Flying Dutchman », du nom des Douglas DC6 B utilisés par la compagnie néerlandaise.
La Flying Dutchman est une montre de taille moyenne pour l’époque (32,7mm) dont la principale particularité provient de son cadran « radial » guilloché et dont les index chiffrés sont remplacés par un secteur plus large toutes les cinq minutes.
La beauté de ce cadran est l’atout principal de cette montre qui reste, tout comme la Polerouter, une montre assez habillée, parfaite pour l’aviation civile de cette époque. Surmontée d’une lunette « engine turned » comme certaines Rolex, la Flying Dutchman emboite le calibre 560 maison, à remontage manuel, doté de 17 rubis, ajusté sur trois positions.
Une version automatique sera créée plus tard avec le calibre à rotor 590C, mais cette version ultérieure perdra de son charme en même temps qu’elle a perdu son cadran guilloché en faveur d’un cadran lisse peint. Rachetée dans les années 2000, il est dommage que les nouveaux propriétaires de Marvin aient totalement occulté cette épisode de l’histoire de la marque.
Malgré son magnifique cadran et son nom épique, la Flying Dutchman ne possède cependant aucune innovation majeure, ni l’aura d’une 1675 ou de la Polerouter. Elle est néanmoins une montre intéressante, restée sous le radar et que l’on peut facilement se procurer pour moins de 400-500 euros. La Flying Dutchman est avant tout un objet historique, témoin d’une période pionnière, que tout passionné d’aviation civile se doit de posséder dans sa collection*.
* J’apporterai l’exemplaire des photos au prochain Redbar, vous pourrez la découvrir dans le métal.
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Hubert
Marvin recelait de beaucoup d’histoires, comme celle que vous contez ici, que cela soit dans l’automobile ou dans les symboles /associations avec des compagnies ou célébrités.
Des fois on veut être plus célèbre que son histoire…
Bel exemple que l’on peut encore trouver des vintages avec un ADN fort si on sait chercher.
(Comment est votre blanquette?)
Victor
Article très intéressant, comme toujours.
Je me permets une petite correction.
« Calibre 560 […], doté de 17 rubis, ajusté sur trois positions »
Merci
Clément de Gaulle
Excellent article, bien documenté et agréable à lire. Comme quoi il est encore possible d’être surpris dans le domaine 😉
Bruno
Une nouvelle fois, un article très intéressant sur une montre méconnue mais qui du fait de son histoire et de son esthétique mérite qu’on s’y arrête. Il existe également une version automatique avec ce cadran si particulier. Je possède ce modèle en version plaquée or. Placage assez singulier lui aussi car il n’est apposé que sur la face et sur un boîtier acier (j’ai vu des Eterna présentant le même type de placage). Elle sera restaurée très prochainement. Mais il me manque la couronne d’origine et malgré mes recherches sur la bay je n’ai pas pu en retrouver…
Bien à vous
Bruno