Perdre l’appétit, ne plus avoir envie est une maladie chronique chez les amateurs de montres. J’écris cet article à destination de tous ceux qui, comme moi, ont douté à un moment et perdu la foi. Il m’a fallu retrouver une montre hors des sentiers battus pour raviver cette petite flamme qui s’éteignait petit à petit.
Lemania est connu dans l’esprit de tous comme le créateur du fameux calibre 321 qui équipait les Speedmaster dans leur période pre-moon. Cette manufacture produisait aussi des chronographes qu’elle commercialisait sous son propre nom. Principalement destinés à des usages militaires ou professionnels, les chronographes Lemania sont devenus une niche à part entière pour les collectionneurs.
Parmi elles, la Lemania TG 195 « Tre Kronor », une montre venue du nord, la patrie des vikings, de ABBA et de la Polarouter SAS.
Communément appelée chronographe, la TG 195 est en fait une classique 3 aiguilles sans sous-compteur totalisateur des minutes. Avec une imposante boite asymétrique de 40mm, la Tre Kronor arbore un large cadran laqué, rehaussé d’un chemin de fer doré (gilt). Le choix du cadran laqué est quelque peu surprenant pour un usage militaire. Il se révèle, en revanche, être un vrai régal pour nous les collectionneurs. Produite dans les années 50 jusqu’au début des années 70, la TG 195 a été affectée aux fantassins de l’armée suédoise pendant 2 décennies, elle est donc affublée du marquage Tre Kronor (les 3 couronnes gravées sur le fond de boite), l’équivalent du Broad Arrow anglais. On distingue 2 types de marquage Tre Kronor, 3 petites couronnes pour les tous premiers modèles et 3 couronnes plus grandes (comme cet exemplaire) pour les versions ultérieures.
Deux autres détails qui contribuent à l’originalité et au charme singulier de cette montre : un protège couronne très intelligemment intégré dans la carrure asymétrique et surtout cette délicate aiguille des secondes similaire à celle des Speedmaster 321, avec sa pointe alpha et son contre poids en goute d’eau ( drop second).
Sous le cache poussière de la belle, on découvre le calibre Lemania 2225 qui n’est autre qu’une adaptation du calibre 2220 à roue à colonne, que l’on retrouve dans les mono-poussoirs Lemania 6B de la RAF. La fonction retour en vol y a été modifiée pour donner à la TG 195 un système de « hack » destiné à faciliter la synchronisation des montres lors d’une mission spéciale.
La séquence de fonctionnement est la suivante : lorsque le mono-poussoir est appuyé, la trotteuse est renvoyée à la position zéro, de la même manière qu’un retour en vol. Simultanément, la couronne est expulsée de son emplacement initial (couronne tirée). La montre est alors complètement arrêtée, trotteuse en position zéro prête à repartir.
Une pression sur la couronne pour la remettre en place, ré-engage la roue de champs et relance la montre qui est désormais synchronisée. Cette complication est à la fois ingénieuse et beaucoup plus pratique que le système de hack traditionnel car il permet une synchronisation instantanée à la seconde près.
Voici donc une montre iconoclaste et singulière. Le contraste d’une carrure utilitaire associée à un énorme cadran laqué la rend très désirable. A ces arguments s’ajoutent une complication originale et un pédigrée militaire scandinave des plus éclectiques.
Dans la fièvre de ce petit monde de la montre de collection, les effets de mode se suivent et disparaissent dans la frénésie des réseaux sociaux. Au final, tout le monde achète et se félicite de posséder les mêmes montres. Explorer de nouvelles pistes, sortir des sentiers battus et de sa zone de confort sont donc devenus salutaires pour celui qui veut encore y trouver du plaisir.
On se rappelle tous de la « hype » passagère qu’avait suscité la Cyma Dirty Dozen, la TG 195 pourrait bien en prendre le même chemin. Il est encore temps de tirer son épingle du jeu avant que la machine ne s’emballe à nouveau. A bon entendeur, salut !
Pallud François
quel régal :-)))
Alain
Complication ingénieuse, mais pour un usage militaire, le risque de dérégler sa montre en pleine action n’est pas négligeable. Ce qui explique peut-être sa rareté ?
Theo
Beautiful!