Je ne connaissais pas cette anecdote. Pour tout vous dire, elle m’a été rapportée par mon fils un soir au retour de l’école. Il la tient lui-même de son professeur de français qui a eu l’intelligence de la raconter en classe. Sur ce blog, on a l’habitude de parler des petites histoires de montres. Pour une fois, nous allons évoquer le destin d’une petite montre de l’Histoire…
Nous avons tous déjà vue dans nos livres d’histoire cette photo prise par Evgueni Khaldei. Le jeune photographe russe de l’agence Tass avait 28 ans en avril 1945 quand les chars russes sont entrés dans Berlin.
Les russes sont arrivés les premiers dans Berlin : le régime stalinien voulait marquer l’événement et impressionner l’opinion publique occidentale. Il fallait souligner la prédominance de l’armée russe sur celles des alliés. Ordre fut donc donné à tous d’immortaliser par tous les moyens la victoire de l’armée rouge sur l’Allemagne nazie. Tous les photographes convergeaient alors vers Berlin en espérant décrocher le cliché qui fera date l’histoire de la photographie de guerre.
Evgueni Khaldei eut alors l’idée de cette photo du drapeau rouge flottant sur le Reichstag qui abritait alors le « Parlement » du IIIe Reich.
Il avouera plus tard s’être inspiré de la photo prise durant la guerre du Pacifique, le « Raising the flag on Iwo Jima » de l’Américain Joe Rosenthal qui remportera le prix Pulitzer.
Le photographe russe a donc voulu reconstituer cette ambiance et a longuement tâtonné pour de trouver l’angle parfait pour immortaliser Berlin vue d’en haut. Au final, 36 clichés seront tirées de cette petite mise en scène. Le drapeau russe venait, en fait, d’une nappe bricolée la veille. Les trois soldats ont été, quant à eux, renommés avec des noms russes pour le story telling.
Mais la supercherie ne s’arrêta pas là. Le photographe confiera plus tard lors d’un interview : « J’ai reçu un coup de téléphone du rédacteur en chef de l’agence Tass :
Ça ne va pas. Le soldat d’en bas, qui tient les pieds de l’autre, a deux montres, une à chaque poignet ! Il faut arranger ça !
Il ne fallait absolument pas laisser croire que le soldat russe avait détroussé un cadavre allemand et donner raison à ce dicton sur la réputation des russes :
le soldat rouge n’a que deux faiblesses : les bottes et les montres.
C’est ainsi que Evgueni Khaldei grattera avec une aiguille sur le négatif (une copie) pour faire disparaitre la montre douteuse avant de l’envoyer au tirage.
Après la guerre, Evgueni Khaldei qui était juif, sera lui-même victime des purges des régimes soviétiques successifs contre les Juifs et les « cosmopolites ».
Ce n’est que bien plus tard, après la dislocation du bloc de l’est, qu’il révélera la supercherie en publiant une version non « retouchée » de cette photo à partir du négatif original qu’il avait précieusement gardé.
Après sa mort en 97, le journal communiste français l‘Humanité, réutilisera sa photo dans une ultime version colorisée. L’homme qui tient les jambes du porte drapeau n’avait toujours qu’une seule montre au poignet…
Pour aller plus loin :
L’interview de Evgueni Khaldei accordée au journal Libération en 1995
Sur Moonphase :
L’épopée des pilotes Tchèques enrôlés dans la R.A.F. durant la 2nde guerre mondiale
L’incroyable histoire du chronographe Rolex ayant appartenu à un prisonnier de la Grande Evasion
Le mystère de la ‘Stockdale Watch’ de JF Kennedy
Laurence Janin-Schlemmer
Excellent (comme toujours) ! Simon, tes posts sont captivants…
Moonphase
Merci Laurence, à très – très – bientôt !
tom
pour info l’anecdote des montres volées est reprise de la meme facon au cinema dans une des scenes d’ouverture du film Child 44. Un colonet russe demandant un volontaire pour tenir le drapeau au dessus du Reichtag et s’insurgeant contre le fait que son camarade ait plusieurs montres dont certains volées (pour le coup dans le film il a au moins 5 montres sur le meme poignet!)
Moonphase
Merci Beaucoup Tom, pour votre contribution.
Je me suis empressé d’aller voir ce passage. Je trouve assez brillant le clin d’oeil du réalisateur.
Pour ceux qui cela intéresse j’ai mis deux images de la scène ici :
https://moonphase.fr/wp-content/uploads/2016/09/child-44.png
et ici : https://moonphase.fr/wp-content/uploads/2016/09/child-44-b.png
En revanche, j’en vois 6 de montres … 🙂
tom
pour info l’anecdote des montres volées est reprise de la meme facon au cinema dans une des scenes d’ouverture du film Child 44. Un colonet russe demandant un volontaire pour tenir le drapeau au dessus du Reichtag et s’insurgeant contre le fait que son camarade ait plusieurs montres dont certains volées (pour le coup dans le film il a au moins 5 montres sur le meme poignet!)
Regalis
Les russes ne détroussaient pas que les cadavres: l’anecdote rapportée par plusieurs prisonniers allemands dit que les russes demandaient les montres avant même les armes au moment de la capture…
Fred Chrono
J’avais complètement oublié cette histoire… merci de l’avoir remise en mémoire !
gérard lazzeri
cela me fait penser à la blague russe ,trois prisonniers sont au goulag….
pourquoi es-tu là ,moi je suis arrivé avec trois minutes de retard à l’usine on m’a condamné pour sabotage contre le système socialiste, et toi ? je suis arrivé avec trois minutes d’avance, on m’a condamné pour espionnage, et le dernier dit : moi je suis arrivé ponctuel à l’heure, on m’a accusé d’avoir une montre occidentale ….
Thomas
Bonjour, ce ne sont probablement pas 2 montres, mais plus probablement une montre et une boussole… Eh oui, les soldats soviétiques portaient très souvent deux bracelets, de cette façon… Parfois sur le même bras, d’ailleurs.