Le blogueur est un coureur de fond. C’est sur la distance et dans le temps qu’il sera jugé. L’enthousiasme du début ne suffira pas, il faudra endurer pour gagner de l’endurance.
Elle s’est pourtant lancée, seule, sur une piste déjà bien remplie. Alors que tous s’engouffrent dans la corde, elle a choisi un couloir où peu d’entre nous n’a osé s’aventurer : l’horlogerie au féminin.
Les articles s’enchainent. Elle avance vite, son audace a déjà été remarquée et primée.
« Pour voir la montre il faut d’abord regarder la personne qui se cache derrière. »
Cette semaine, dans l’exercice de l’interviewer interviewé :
Laurence J. éditrice du blog Laurloge.com
Bonjour Laurence, en quelques mots, qui es-tu ?
J’ai été journaliste pendant dix ans aux Etats-Unis, d’où je collaborais at large pour des magazines féminins, le Figaro et même l’Huma! J’ai aussi à mon actif des bouquins historico-régionaux (Montagnards d’antan et La Haute Savoie d’antan) car ma famille comptait autrefois de nombreux guides à Chamonix. Aujourd’hui j’écris une chronique pour Europa Star Première, un business journal horloger suisse, mais je suis principalement conceptrice/rédactrice et consultante pour des maisons de luxe.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, te rappelles-tu de ta toute première montre ?
Première communion, une montre rose bonbon, avec, en y repensant, une lunette que l’on aurait dite émaillée (qui ne l’était pas) et un bracelet atypique façon galuchat (qui ne l’était pas). Mais je la vois peut-être avec le filtre que j’ai aujourd’hui.
Te souviens-tu de l’événement déclencheur de ta passion horlogère ?
Genève, une matinée passée dans le bureau de Gabriel Tortella, créateur de La Tribune des Arts (un magazine qui mixe formidablement arts et horlogerie). C’était un personnage hors du commun, un ogre, craint et adoré à la fois, qui officiait dans un minuscule bureau d’où il faisait la pluie et le beau temps. Sa passion des montres m’a profondément touchée. Il a eu la générosité de me proposer de collaborer à un projet. Mais il est décédé subitement entre temps. L’homme a laissé son empreinte sur mon envie d’écrire sur l’horlogerie.
La baseline de ton blog est « L’horlogerie au féminin ». Tu nous expliques un peu ?
L’horlogerie va bien au-delà des montres. C’est une histoire, autant de création que de société, une industrie et de sacrés enjeux économiques, un marché constitué pour les deux tiers par des femmes. Ce sont des territoires géographiques, des personnages – discrets ou extravagants – qu’il fait bon rencontrer, une responsabilité aussi qui nous incombe à tous quand il faut réagir face à la contrefaçon. Peu de femmes sont conscientes de la diversité de l’horlogerie. J’ai à cœur de leur montrer combien cet univers est vaste et fascinant.
Justement, en quoi l’approche féminine de l’horlogerie est-elle si différente ?
Je ne pense pas que nous les filles, nous soyions finalement moins dans le statut que les hommes. La preuve, nous sommes tant à porter des montres masculines qui sont (encore, malheureusement) autant de symboles de pouvoir. Mais j’aime à penser que certaines (et rares) femmes de pouvoir sont prêtes à désacraliser l’horlogerie. A cet égard, j’ai vraiment hâte de voir ce que va faire Florence Sentilhes, la nouvelle présidente de la manufacture Pequignet en France.
Que changerais-tu si tu étais à la direction d’une grande maison horlogère ?
Actionnaires, investissements, comptes à rendre sclérosent ce type de maisons. Quand l’une s’engouffre dans une brèche qui semble porteuse (exemple : les métiers d’art), les autres suivent. Au final, toutes perdent leur âme. Je leur dirai de cultiver l’indépendance de ton, ce qui n’est pas facile quand des millions sont en jeu. Mais je crois qu’à long terme, la sincérité et l’engagement vis à vis du client, le fait de montrer qu’on se soucie réellement de lui (et d’elle !), qu’on s’est décarcassé pour lui créer un rêve à sa mesure, cela fait la différence.
Quelle montre portes-tu ?
Une petite Rolex vintage, une Datejust acier et cadran noir dont je suis tombée amoureuse en passant devant la vitrine d’un antiquaire parisien il y a quelques années. J’aurais tendance à dire : une montre sobre pour une chic fille.
As-tu une montre fétiche ? Un garde temps dont tu ne te séparerais pour rien au monde ?
Ma mère a toujours préféré les montres aux bijoux. Elle en possède plusieurs dont une Baignoire de Cartier que je lui « chipe » volontiers. Pour moi, c’est la plus belle montre femme qui soit. Et comme c’est une montre de famille, elle possède une aura que rien ne peut égaler. Je parlais récemment avec le créateur Emmanuel Gueit qui a dessiné, entre autres, la Royal Oak Offshore ainsi que la Cellini (excusez du peu !) Pour cet esthète, la Baignoire est également au summum de la création féminine.
Une montre particulière que tu souhaiterais nous présenter ?
Pas une montre, un objet (monumental), réalisé l’an dernier par la Manufacture de haute horlogerie Parmigiani Fleurier : Hippologia, une pendule réalisée en collaboration avec Lalique et un automatier de génie, peut-être le plus grand du monde, François Junod. L’horlogerie, c’est aussi cela, concevoir des aventures humaines, sur le fil du rasoir, où tu ne sais pas pendant des mois si « cela va marcher ». Puis la magie opère. C’est bouleversant.
Penses-tu que les femmes ressentent le temps qui passe d’une manière différente ?
J’ai parfois l’impression qu’il y a plus de 24 heures dans la journée d’une femme. Nous passons d’une tâche à l’autre en poussant et en écartant le temps comme s’il s’agissait d’une matière élastique. Au final, il nous faut arriver à tout caser. Le challenge se répète chaque jour. Est-ce à dire que le temps est un ennemi ? Non, mais c’est un adversaire qui sait se faire respecter.
Si tu pouvais retourner dans la passé, quelle montre nous ramènerais-tu ?
Ta question me fait réagir sur la notion du « revival » et des manufactures, qui, faute d’oser se lancer, préfèrent la réassurance avec des modèles anciens qu’elles exhument de leurs archives. Elles leur donnent des codes contemporains et soi-disant le tour est joué. Pas si sûr… S’il faut vraiment évoquer le passé, je te répondrai XIXème siècle, la montre dans tous ses états : portée en sautoir attachée à une longue chaîne, en boucle d’oreille, dissimulée dans un miroir, une tabatière. Il semble qu’il n’y avait alors aucun obstacle à tout ce que l’on pouvait imaginer. J’aime cette liberté d’expression horlogère.
Merci Laurence !
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