L’horlogerie militaire est décidément une corne d’abondance pour ceux qui aiment les montres vintage à forte légitimité et aux prix abordables.
Parmi les incontournables, une montre, ou plutôt de 3, retrace le destin épique des pilotes de la Czech Air Force qui ont combattu dans les rangs de la RAF lors de la bataille d’Angleterre.
Quelques temps juste avant l’annexion de la Tchécoslovaquie par les troupes nazies, le gouvernement Tchèque commanda à la manufacture suisse Longines une série de montres à la forme et proportion plutôt déconcertante pour l’époque.
Il s’agissait de montres coussins au boitier de taille généreuse (52x40mm et entre-corne de 24mm) qui renfermaient un mouvement 15.68Z conçu, dans les années 20, pour des montres goussets. Elles possédaient une lunette tournante cannelée avec une flèche permettant de comptabiliser la durée du vol des pilotes de guerre.
Les premières versions de cette montre possédaient un cadran en porcelaine identique à ceux des montres goussets. Le ministère de la défense modifia ensuite le cahier des charges de cette montre trop grosse, trop chère et trop fragile pour en garder que la forme coussin du boitier.
Les manufactures Lemania et Eterna répondirent à l’appel d’offre avec respectivement un calibre 3050, 17 rubis pour Lemania (38 x 50 mm, entre-corne 22mm) et un calibre 852-S, 15 rubis pour Eterna (38,5mm x 48mm entre-corne 21mm).
Ces 3 montres sont communément appelées les « MAJETEK » à cause de l’inscription gravée sur leur dos « MAJETEK VOJENSKÉ PRÁVI » signifiant « Propriété de l’aviation militaire ».
Quand le 15 mars 1939, les troupes allemandes marchèrent sur la Tchécoslovaquie, aucune résistance ne leur fut opposée, comme cela avait été convenu dans les accords de Munich (30 septembre 1938) entre les français et les anglais, d’une part, et Hitler et Mussolini, de l’autre.
L’armée allemande pénètre alors en Tchécoslovaquie et annexe les Sudètes (territoires des minorités allemandes de Bohême-Moravie). Hitler rectifie, de son propre chef, les frontières du pays en attendant de le conquérir entierement.
Dans les semaines qui suivirent, des milliers de soldats et pilotes tchèques s’enfuirent vers la France, dont la chute rapide les ont conduit ensuite en Angleterre, dernière ligne de défense entre la démocratie et le fascisme.
Pendant ce temps, l’aviation tchèque fut saisie et réutilisée par la Luftwaffe et les usines tchécoslovaques ont été converties pour produire des moteurs et avions allemands. Les montres « MAJETEK » subirent, quant à elles, le même sort et ont été confisquées pour se retrouver aux poignets des pilotes de l’axe.
Toutes ? sauf celles portées par d’irréductibles pilotes enfuis qui rejoignirent les rangs de la RAF anglaise en juin 1940.
Le président Tchèque, alors en exile à Londres, soumit un mémorandum au gouvernement anglais, les sommant de laisser les pilotes tchèques à participer à la défense aérienne de l’Angleterre. Les pilotes Tchèques qui avaient rejoint la RAF, avaient de l’expérience et soif de vengeance tandis que les anglais avaient besoin de nouvelles recrues pour lutter contre la blitzkrieg nazi et gagner la bataille d’Angleterre qui était sur le point d’éclater.
La RAF affecta la série des numéros 300 aux escadrons tchèques, cette série était réservée aux personnels alliés échappés de l’Europe. En moins de 3 semaines, 3 escadrons tchèques de chasseurs Hurricanes furent opérationnels ( les 310, 312 et 313) ainsi qu’un escadron de bombardiers Wellington (l’escadron 311).
La bataille d’Angleterre commença le 10 juillet 1040. Les tchèques avaient désespérément envie d’en découdre avec les allemands qui avaient envahi leur pays. Parmi les 2000 pilotes qui se sont battus comme des damnés jusqu’à la fin de la guerre, environs 1500 pilotes survécurent. Les 3 escadrons de chasseurs totalisèrent 28 335 sorties tandis que l’escadron de bombardiers 311 opérera plus de 2000 sorties. Ce sont eux qui ont eu le plus de pertes humaines : parmi les 480 pilotes tués, 273 venaient de cet escadron.
A la fin de la guerre, l’escadron 312 possédait encore 7 Spittfires en état de vol, ce qui le meilleur score de tous les escadrons de la RAF.
Parmi les pilotes tchèques qui se sont distingués durant cette guerre, on trouvait le fougueux et incontrôlable Josef František avec un score personnel de 17 avions ennemis abattus ainsi que Karel Kuttelwascher avec 18 victoires sur les avions de la luftwaffe. Tous deux furent décorés par leur gouvernement de la croix de guerre symbolisée par 2 dagues entrecroisées. Distinction suprême que certains pilotes firent graver sur leur montre MAJETEK.
Récemment, Longines a réédité en avril dernier une version de leur MAJETEK appelée Heritage 1935,
tandis que Eterna se prépare à sortir en septembre sa propre version de cette montre légendaire sous le nom d’ ‘Eterna Heritage Military Majetek’.
Ci-dessous une publicité de la Longines de l’époque. Petit clin d’oeil, on y apprend que le mot montre en tchèque se dit … Hodinky.
Pour aller plus loin :
– L’hommage rendu aux pilotes tchèques de la RAF par Radio Prague
– Quelques images d’époques. A regarder minutieusement, la Majetek y est omniprésente.
– Quelques témoignages :
– ainsi que le film Dark blue world qui évoque une version romancée de cette période.