Les temps sont durs pour les petits collectionneurs. Chaque vente aux enchères prestigieuse enfonce le clou un peu plus loin. Le marché du vintage continue son emballé entamé depuis quelques années.
Les sites de ventes pullulent sur internet, la moindre pépite passe entre plusieurs mains en espace d’une semaine. Les bonnes affaires se font rares. Les prix flambent. Inutile de les citer toutes, chacun de nous a en mémoire une montre qu’il a laissée filer avec regret et dont le prix est devenu depuis hors de portée.
Tout n’est pourtant pas perdu. Certaines belles ont échappées aux projecteurs, mais encore pour combien de temps ? Parmi elles, une montre est passée quelques peu sous les radars. Et pourtant, celle là a tout d’une grande :
un ADN issu des grandes conquêtes du début du 20è siècle, une boite signée par l’illustre Gerald Genta et un mouvement conçu par l’unique marque qui aurait pu défier à elle seule Rolex et Omega.
Cette semaine, voici donc l’histoire de la Polerouter d’Universal Genève.
Nous sommes au début des années 50. Le vol expérimental de compagnie aérienne scandinave SAS est un succès. Pour la première fois, en 1952, un avion réussit à rallier Los Angeles à Copenhague en créant un raccourci au dessus du Pôle Nord. Ce qui parait comme banal aujourd’hui n‘était pas une mince affaire à l’époque. Un certain nombres de problèmes logistiques et techniques devaient être résolus dont principalement celui du pôle magnétique qui déréglait les appareils de navigation embarqués. Universal Genève, qui à l’époque était le fournisseur officiel de la compagnie avait du adapter spécialement ses montres pour les protéger des champs magnétiques de la région polaire.
C’est le 15 novembre 1954 que fut inauguré le premier vol commercial entre Copenhague et Los Angeles. Il y avait foule ce jour à l’aéroport pour fêter l’événement. Plus de 10 000 personnes s’étaient déplacés pour voir décoller le DC 6 nommé « Helge Viking » (OY-KMI) qui avait embarqué à son bord des journalistes ainsi que les premiers ministres de la Norvège, du Danemark et de la Suède. Le vol durera au total 27 heures et 15 minutes avec une escale de ravitaillement de 3 heures dans la Toundra de Winnipeg au Canada.
Remettons nous dans le contexte horloger de l’époque.
En 1953, Rolex venait juste de revendiquer le succès de Sir Hillary sur l’Everest tandis que Tudor se faisait connaitre grâce à la British North Greenland Expedition (1952-1954). Toujours à la même époque, Nivada surfait sur les prouesses de la Deep Freeze Expedition en Antarctic (1955), tandis que Enicar devint le sponsor officiel de l’expédition sur l’Everest de 1956 avec la Sherpa. Omega quant à lui, sort en 1957, simultanément 3 montres qui se différenciaient les unes des autres par leur fonction dans des environnements différents. Il s’agit bien sûr de la trilogie Speedmaster, Railmaster et Seamaster.
Nous sommes donc à un période charnière ou les premières toolwatches faisaient leurs apparitions avant d’acquérir leurs lettres noblesses à travers ces exploits qui ont fondé les progrès de la science au début du 20è siècle.
Universal Genève, qui était surtout reconnue pour la qualité de ses chronographes ne devait pas être laissée en reste. La marque fit appel à un jeune designer d’une vingtaine d’années, un certain Gerald Genta, pour concevoir la montre qui allait les relancer grâce au succès médiatique de la SAS.
D’abord appelée « Polarouter », les premières montres portées par les équipages des vols polaires avaient un calibre 138 SS qui datait déjà de 1948. Ce système de remontage dite à «Bumper», très courant à cet époque, remontait le barillet grâce à une navette qui faisait l’aller-retour entre deux butées à ressort.
Il sera remplacé au bout d’un an (1955) par un nouveau mouvement révolutionnaire dit à «Micro-Rotor» dont l’invention a été disputée entre Universal et Buren. Ce dernier de son coté, venait de lancer son «Intra-Matic» qui plus tard inspirera le Chrono-Matic, plus connu sous le nom de Calibre 11 (voir notre article à ce sujet).
Le calibre 215 à micro-rotor d’Universal surpassait le système à bumper à plusieurs égards : le micro-rotor avait un meilleur rendement car il remontait la montre dans les deux sens de rotation du rotor ; tandis que le système à butées ne remontait la montre que dans un seul sens, devant revenir à sa position initiale à chaque fois. L’autre raison et non des moindres :grâce à sa taille réduite le micro-rotor était intégré directement dans le mouvement, lui conférant ainsi une très faible épaisseur pour une automatique, comparée au calibre avec une masse oscillante traditionnelle plaquée sur le mouvement.
Vendue au même prix qu’une Explorer à l’époque, Universal détenait désormais SA montre «sport». A savoir une montre performante, compacte (34,5mm) et raffinée, et portée en toute circonstance par l’homme moderne hyper actif. Face au succès commercial de la Polerouter, Universal déclinera sous ce nom d’innombrables itérations allant des modèles à quartz aux modèles plongeuses «SUB» avec boitiers symétriques et asymétriques ainsi qu’un modèle Super Compressor de 42mm !
De la quinzaine de modèles existants, la version dessinée par Genta avec ses anses «twisted» est bien sûr la plus iconique de toutes. Les amateurs avertis préféreront peut être les modèles «SUPER» à anses droites, disponibles à partir de 1962, équipés de la version la plus avancée du mouvement à micro-rotor, le calibre 69 et ses 55 heures de réserve de marche.
Amis collectionneurs, il est plus que temps de se pencher sur la Polerouter avant que la fièvre inflationiste la rende intouchable, elle aussi. Pour une fraction du prix vous obtiendrez une montre techniquement plus aboutie et historiquement plus innovante que toutes les Explorer de l’époque.
Pour aller plus loin :
- Polerouter.de : la bible réalisée par un passionné du modèle, malheureusement injoignable
- Le site scandinaviantraveler.com sur l’histoire de la compagnie SAS
- «Horrible est le beau, beau est l’horrible », Audemars Piguet Royal Oak par Gérald Genta
- Les histoires d’aventuriers explorateurs sur Moonphase
- Les histoires d’aviation sur Moonphase
ilias
Bravo!!!!!!!
jrm75012
Encore une lecture très agréable pour débuter la semaine ! Merci.
Personnellement, si j’aime beaucoup la forme du boitier et l’ingéniosité du mouvement à micro-rotor, j’avoue être un peu moins emballé par l’ensemble cadran/aiguilles, qui lui confère une identité plus proche de la « montre de ville » que de baroudeuse.
Peut-être est-ce pour cette raison que les prix restent encore bas, contrairement aux versions « Sub » par exemple ?
Moonphase
Cher JRM,
J’avoue avoir pensé comme vous pendant un certain temps. En écrivant l’article je réalise que Genta n’a jamais voulu en faire une toolwatch (il en a jamais fait d’ailleurs) mais plutôt une montre « Sport » c’est à dire versatile mais habillée, voire luxueuse. On y entre-aperçoit dans cette démarche, les prémices du concept Royal Oak… C’est aussi pour cette raison que je la compare à l’Explorer.
Universal qui écoute bien son marché sortira plus tard, en effet les versions « Sub » pour les clients à la recherche d’une vraie baroudeuse. Comme çà, tout le monde est content 🙂
Merci d’avoir alimenté la réflexion !
s
jrm75012
Je vois tout a fait ce que vous voulez dire. J’attendrai donc d’avoir un exemplaire entre les mains pour me prononcer de façon plus affirmative… ou pas 😉
En tout cas, il est vrai que pour une montre ayant une belle histoire (ce qui est un élément important dans mon choix de pièces vintage) et une « identité technique » forte avec le micro-rotor, les prix sont encore très bas.
Merci du partage et très bonne journée à vous. Au plaisir de vous lire, encore et encore 🙂
FRANCOIS JEAN
bonjour ,
comme d’habitude des articles avec du contenu .
bravo
un collectionneur de Bruxelles
Christophe
Captivant comme d’habitude ! Bravo !
HELVETIA
Bonjour,
Et merci car très instructif !!!
Bel achat, et à ce prix…
Amicalement.
Raynaud
Merci pour tous ces précieux détails que j’ignorais !!!toujours de belles découvertes , grâce à vous …
Ney
Fabuleux!
Chaque article est enrichissant.
Proprietaire d’une « Sub » parce que fan de plongeuses, je n’ai plus d’hésitation, après cet article, à investir dans sa version « civile ».
Encore merci pour toutes ces informations.
Pierre
Encore un super article, merci !
Il y a une dizaine d’années, j’en ai cédé une à un ami mais pas en mvt auto, c’était un quartz et de mémoire son diamètre devait plutôt etre de 37, je l’avais achetée 60€ dans une brocante, bizarrement elle était montée sur un bracelet tropic bleu !!!!
Je crois que cet ami l’a toujours et si c’est le cas je ne serais pas surpris qu’elle fonctionne encore !