L’horlogerie et l’automobile, le temps et la vitesse, mon premier mesure mon deuxième, l’un et l’autre sont liés par la belle mécanique. Depuis que les courses existent, la chronométrie a trouvé son terrain de prédilection sur l’asphalte, faisant la renommée des marques comme Heuer, Rolex ou Omega.
Voici pourtant une histoire pour le peu inattendue. Dès 1932, le comte Carlo Felice Trossi, pilote et Président de la Scuderia, courrait à bord de son Alfa Romeo avec un chronographe mono-poussoir fabriqué par… Patek Philippe. Deuxième surprise de taille : cette montre, que le pilote portait par dessus sa combinaison, mesurait 46mm ! Une dimension hors norme pour l’époque et surtout pour cette marque.
Symbole de l’excellence au croisement des deux mondes (Patek et Ferrari), cette montre fut vendue aux enchères par Sotheby’s de Genève, en 2008, pour plus de deux millions de Francs suisses. Intrigué par cette histoire, je me suis empressé d’aller questionner Geoffroy Ader, « maître de cérémonie » à l’époque de cette vente, qui restera dans les annales sous le nom de « TROSSI LEGGENDA » …
Geoffroy, la première chose qui me frappe est la taille de cette montre (46mm !), très inhabituelle pour l’époque, et surtout très surprenante pour cette marque. Patek faisait donc aussi des « toolwatches » ?
En effet, la taille de cette montre est exceptionnelle, sans doute l’un des chronographes les plus large de par sa taille dans la production Patek Philippe. Egalement il est important de souligner qu’à cette époque lorsque la montre a été produite, les montres étaient pour l’essentiel de petite taille aux alentours de 33 mm.
Est-ce que l’on peut la qualifier pour autant de ‘tool watch’, je pense que oui, puisque nous avions la brochure d’époque de Ferrari avec en couverture le Comte Trossi arborant fièrement sa montre à son poignet, sur la manche de sa combinaison de pilote automobile. Il devait l’utiliser sur les circuits … . Sans aucun doute le Comte Trossi a été précurseur sans le vouloir, pour des raisons purement pratiques afin de mieux lire l’heure sur son chronographe, bien avant cette mode lancée bien plus tard par Gianni Agnelli qui lui aussi portait ses montres par dessus les manches de ses chemises.
Cette montre était considérée à l’époque comme l’une des plus chères au monde, vous confirmez ?
A l’époque cette montre était en effet l’une des plus chères au monde, dans le cercle très fermé des 10 plus importantes montres vendues aux enchères. Elle reste encore à ce jour une enchère record pour une montre bravelet chronographe. Au delà de son prix d’adjudication, plus de 2 millions d’euros, elle est la seule dont nous pouvons dire qu’elle est accompagnée d’une photo de l’époque avec son propriétaire original, le comte Trossi, d’où le nom ‘Trossi Leggenda’, une vrai montre légendaire à la fois pour l’horlogerie et le monde automobile.
Une question que le grand public se pose souvent pour les enchères prestigieuses en général et pour celle-ci en particulier : quelles sont les raisons qui peuvent pousser le propriétaire de cette pièce familiale à s’en séparer ?
Les raisons sont multiples et variées, il est difficile de faire d’un cas particulier une généralité, le plus souvent les collectionneurs ou amateurs dans le domaine des montres de collection veulent bénéficier d’un contexte économique favorable, ce qui était le cas au début de l’année 2008.
Mais il arrive aussi que les ventes de pièces exceptionnelles peuvent se faire suite à une décision de la famille après un décès, ce qui peut occasionner des découvertes pour des pièces dont ils ne connaissent pas la valeur.
Le plus important reste la passion pour l’objet et souvent le collectionneur préfère s’en séparer lui-même s’il ne trouve pas dans le regard de ses descendants cette même flamme qui a animé la construction de sa collection.
Les photos étant rares à l’époque, comment procédez-vous à la vérification de l’authenticité de la montre ainsi que le fait qu’elle ait bien appartenu au comte Trossi ?
La Trossi est à ce jour l’une des rares pièces dont nous conservons un document de l’époque, la brochure du magazine Ferrari figurant le Comte Trossi avec la montre à son poignet.
Evidemment, nous avons aussi effectué des recherches dans les archives de la manufacture Patek Philippe qui conserve toutes les informations nécessaires sur la fabrication de la montre et sa date de vente.
Une anecdote particulière à nous raconter sur cette vente ?
Lors de la vente de cette montre chez Sotheby’s en mai 2008, nous avions changé le format de vente pour introduire le premier concept ‘evening sale’ des ventes de montres Sotheby’s à Genève, à cet effet nous avions donc organisé la présentation des montres à l’aide de mannequins lors de la vente, cela reste un très bon souvenir.
Une anecdote me vient immédiatement à l’esprit, c’est la réflexion que m’a faite l’heureux propriétaire de la Trossi quelques mois après la vente, je lui demandais ce qui l’avait motivé au delà du caractère unique de cette montre, et il me répondit :
Je suis ravi de cette montre, immédiatement après la vente je suis allé chez mon tailleur à Londres pour me faire tailler des chemises sur-mesure pour la porter par dessus mes chemises, comme le Comte Trossi …
Au delà de son illustre propriétaire, cette montre avait-elle quelque chose de particulier ?
Je pense que cette montre avait un caractère particulier par sa provenance mais également par le fait qu’elle était accompagnée de sa brochure de l’époque. Il est rare de trouver la photo d’une montre en situation, qui plus est si son propriétaire est illustre, ce qui donne un cachet exceptionnel et unique. Souvent les accessoires qui accompagnant la montre sont primordiaux et donnent envie aux collectionneurs de se replonger dans l’histoire avec un grand H.
Cette vente remonte maintenant à presque 10 ans maintenant, pensez-vous qu’il existe encore d’autres trésors cachés à découvrir ?
Bien sûr, il existe encore des trésors cachés, il faut juste être patient et se dire qu’un jour ils croiseront votre route, j’ai eu la chance d’en adjugé certains au enchères, je continue à chercher. Comme je le dit souvent pour qualifier la passion de mon métier d’expert ‘je cherche l’or du temps, je suis à la fois chasseur de trésors et magicien avec une baguette magique…
Certaines personnalités ont déjà croisé ma route, le Comte Trossi restera comme l’une de celles qui m’a le plus marqué dans ma carrière d’expert.
Merci Geoffroy !
- Pour aller plus loin :
- Les histoires de courses automobiles sur Moonphase
- Quelques montres célèbres vendues aux enchères sur Moonphase
- Patek philippe : l’histoire d’un club de collectionneurs appelé le Gondolo Gang
- Le site de Geoffroy Ader, expert en montres de collection
Maxime
Ça doit faire 6 mois que je vais régulièrement (tous les jours) sur ce blog, espérant y trouver un nouvel article et c’est la première fois que je laisse un commentaire.
Tous vos articles sont plus passionnants les uns que les autres (6 mois d’ancienneté mais je les ai tous lu), les Rolex de l’ami Castro, les Calatrava d’Amérique du sud, et là, cette Patek unique…
L’histoire avec un grand H. Merci pour ce blog ! C’est passionnant…
Une bien brève prose comparé à votre travail…
Max
Moonphase
Bonjour Max,
Merci pour votre gentil commentaire !
Et merci aussi pour votre patience… . Moi aussi je trouve que les articles n’arrivent pas assez vite 🙂
s