Paradoxe horloger : ces montres ultra-convoitées qui n’ont pas de mouvement de manufacture

Souvent déclencheur d’hystérie générale dans les discussions horlogères, la notion du mouvement « in house » ou « de manufacture » est un sujet hautement polémique. Alors que le mouvement modulaire est accusé d’être vendu trop cher pour ce qu’il vaut, le mouvement de manufacture, quant à lui, est purement suspecté d’être assemblée à partir de pièces d’origines plus ou moins contrôlées.

Toujours est-il que l’ensemble de notre large confrérie est unanimement d’accord sur le fait qu’une montre avec un mouvement « fait maison » sera toujours plus noble que les autres, qu’elle soit une toolwatch ou pas.

Sauf que voilà, les choses ne sont pas (heureusement !) aussi simples. Et ce qui est valable en général ne l’est pas pour certains cas particuliers. Il existe bien des exceptions qui confirment la règle. Peur de nous contredire ou tout simplement par snobisme, les amateurs de belles montres ne sont plus à un paradoxe près. Ce n’est pas de l’auto-flagellation, mais il faut quand même accepter de voir les choses en face.

Cette semaine, voici donc quelques montres ultra-convoitées qui ne possèdent pourtant pas de mouvement de manufacture.

Rolex Cosmograph Daytona (Valjoux 72)

ROLEX-DAYTONA-6239-TIFFANY

Rolex Daytona 6239 double signature Tiffany (photo : http://www.watchesinrome.it/ )

On ne va pas faire l’article de trop sur cette montre considérée pour beaucoup comme le grail ultime. Même cette sur-exposition et toute cette agitation autour de cette montre « mythique » tend un peu plus à la banaliser chaque jour. La « Dayto » reste néanmoins une montre sportive d’exception. Equipée depuis ses débuts (1963) par un mouvement valjoux 72 puis de ses variantes (722, 722-1, 727), ces derniers seront remplacés beaucoup plus tard (1987) en par un mouvement Zenith El Primero modifié. Ce n’est qu’en 2000 que Rolex développera enfin son propre calibre 100%  « in house »(ref.4130) pour équiper les nouvelles générations. Bien sûr, les modèles les plus convoités restent, loin devant, les modèles équipés des Valjoux 72, une Paul Newman s’était vendue plus d’un million d’euros chez Christies en 2013 tandis que les chronos moins « nobles » mais néanmoins équipés du très convoité V72 se vendent une bouchée de pain su Ebay. Ces derniers finissent par être cannibalisés et servir de pièces de rechange aux Dayto …  Au fait, savez-vous que la toute première Daytona portant en fait le nom de « Le Mans » ?

 

Universal Geneve « Nina Rindt »  (Valjoux 72)

universal-geneve-nina-rindt-valjoux-72

Photos : Stephen J. Pulvirent

Souvent considérée comme la Dayto du pauvre, à cause sûrement de son cadran Panda et de son calibre 72, la Nina Rindt a été emportée par la « hype » récente qui a multiplié son prix par cinq. Une montre très glamour à l’image de la mannequin qui lui a donné son nom et de sa relation avec le célèbre pilote Jochen Rindt, tous deux déjà évoqués sur ce blog.

La « Nina Rindt » n’est pourtant pas, à mon humble avis, du tout représentative de l’exceptionnel savoir-faire de la très grande et regrettée maison Universal.

 

Tudor Submariner « Snowflake » Marine Nationale (ETA 2483)

MN-74-(Marine-Nationale)-Tudor-7016

Tudor Marine Nationale « Snowflake  » ref 7016 et son calibre ETA 2483 (photos network24.com)

La « Snowflake » est l’autre montre dont les prix ont littéralement flambé durant ces dernières années. La mode du Néo vintage (relancée notamment par la gamme Héritage de chez Tudor) n’explique pas tout. L’engouement pour cette montre vient principalement de la légitimité de ses 25 ans passées au service de la Marine Nationale (MN) française. Equipée d’un mouvement modulaire ETA facile à entretenir, cette montre a été choisie par les corps d’élite sans aucune modification du cahier des charges. En France nous n’avons pas 007 mais nous avons le commando Hubert …

 

Omega Speedmaster Professional

Speedmaster-321-1965

Speedmaster 321 de 1965 avec une (très rare)lunette bleue (photo Henhyjbird @ Watchuseek

L’histoire de la Moonwatch est étroitement liée à celle de la manufacture Lémania qui a fourni les deux mouvements historiques de la Speedmaster : le célèbre calibre 321 issu du calibre Lémania 2310 et plus tard (1968) le calibre 861, dérivé du Lémania 1873, qui n’est plus équipé d’une roue à colonne mais d’une came.

C’est en 1932 que la Société Suisse pour l’Industrie Horlogère (SSIH qui deviendra plus tard le Swatch Group) formé par Omega et Tissot décide de racheter la manufacture Lemania alors en difficulté. Ce mariage ne fut pas exclusif et Lemania continua à approvisioner d’autres marques célèbres.

Récemment, une Speedmaster ayant été sur la lune s’est adjugée pour la bagatelle somme de 245,000 dollars alors que l’on peut retrouver le même mouvement dans de nombreux chrono des années 70’s comme les Breitling, Heuer, Hamilton et même Vacheron Constantin …

 

Chronographe Patek Philippe Ref. 1463

Chronographe-Patek-Philippe-Ref.-1463

Photos : Watchprosite

La référence 1463  fut le premier chronographe étanche fabriqué par Patek en 1940 avec un fond de boîte vissé. Sa production durera jusqu’en 1965 avec seulement 750 modèles produits, tous en or. Tous ? En fait, non, car 17 exemplaires en acier furent référencés entre 1941 et 1951. En novembre 2013, une vente chez Christie’s Genève adjugea une de ces 1463 en acier à plus de 500 000 dollars. Si cette montre ultra convoitée représente la quintessence de la ligne des Patek des années 50, cela ne l’empêche pas d’embarquer dans sont boîtier le calibre Patek 13-130, qui n’est « rien d’autre » qu’un Valjoux 23, re-décoré …

 

Ce n’est donc pas cracher dans la soupe que de souligner ce paradoxe qui, en fait, n’en est pas un :

Finalement le débat sur les mouvements de manufacture concerne d’avantage les montres neuves et plus précisément leur prix de vente. Mouvement modulaire ou mouvement de manufacture, le flou réside dans la difficulté d’appréhender leur valeur intrinsèque, masquée derrière les marges et les budgets marketing.

Concernant les vintages, le problème ne se pose pas de la même manière : les plongeurs démineurs de Toulon ont choisie de porter des Tudor pour leur valeur d’usage (montres outils) alors que les acheteurs des salles de ventes achèteront la même montre 50 ans plus tard pour leur valeur d’échange (spéculation).

Valeur travail, valeur d’usage, valeur d’échange : il s’agit bien là des définitions (marxistes) d’une marchandise. Les tocantes seraient donc bel et bien des marchandises, qui de temps en temps, arriveraient encore à produire en nous quelques belles émotions…

Pour aller plus loin : d’autres paradoxes sur Moonphase

9 Comments

  • Répondre février 2, 2016

    Oliwoud

    Comme toujours trés bon article , j´ai eu un rictus en regardant ma belle Sherpa Graph que je Porte en ce moment,et qui n´a rien a envier á la 6239 de la photo ( d´autant que les finitions du V72 sont meilleures …) bien au contraire ( mis á part sa valeur d´échange en Effet lol)

  • Répondre février 2, 2016

    Mickael

    Encore un excellent article !

    • Répondre février 2, 2016

      Moonphase

      Merci Mickael, honnêtement, je ne pensais pas que le sujet allait intéresser autant de monde, mais c’est tant mieux !

  • Répondre février 5, 2016

    Olivier

    Article intéressant et révélateur de notre monde actuel selon lequel le paraître est plus important que le fonds. Les sémiologues expliquent par exemple que la carte d’un territoire est presque plus importante que le territoire lui meme. La carte permettant de préparer la conquête du territoire qu’elle représente.
    En horlogerie pour beaucoup, l’important est l’image (la carte) et pas le mouvement (le territoire), la conquête étant le statut social que l’image confère.

    • Répondre février 6, 2016

      Moonphase

      Merci Olivier pour votre commentaire. Heureusement tout n’est pas ainsi et ces quelques exemples sont des exceptions qui confirment la règle.

      Mais à l’inverse, on pourrait aussi dire que ce n’est pas parce qu’un mouvement est ‘in house’ qu’il est forcément meilleur. Tandis que les mouvements évoqués dans cet article sont tous des calibres qui ont fait largement leur preuve. C’est sûrement pour cela qu’on a mis tant de temps à les remplacer. AMHA.

  • Répondre février 7, 2016

    Olivier

    Vous avez absolument raison!
    Bien cordialement

  • Répondre décembre 29, 2016

    Pierre Chaverlange

    Salut,
    Je debute sur ce blog, excellent article résumant en quelques lignes le débat in-house or not, pour ma part je pense que ce débat restera sans réponse, chacun ayant sa sensibilité sur le sujet bien qu’il ait influencé l’industrie horlogère ces dernières années ( de plus plus de calibres de manufacture sur les etals ), une question subsiste pour les moins fortunés : un 7750 est-il meilleur qu’un 2894 modulaire ? ( ou moins fragile).
    Merci encore pour tous ces passionants articles !
    Pierre

  • Répondre août 1, 2020

    Philippe Graipin

    Bonjour.
    Merci pour votre analyse que je partage avec moins de complaisance. Raison pour laquelle je surnomme les marques à fantasmes les « emboîteurs ».
    Ces usurpateurs d’identités sont parvenus à grand renfort de story telling opaques (Everest 53, lune 69…) a totalement occulter les véritables horlogers. Sous ce rapport : Rolex et Oméga ont fait très fort.

Leave a Reply

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.